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Décryptage: La Guinée va-t-elle être la risée du monde ?

La Guinée, victime des tares congénitales de son intelligentsia? Lamarana Diallo démontre que si la question ne se pose pas dans le pays, la diaspora guinéenne se la pose dans une compassion impuissante alors que la communauté internationale poursuit allègrement ses redites.

L’une et l’autre sont d’accord qu’il faut éviter la généralisation de la crise. Les acteurs intérieurs, eux, ne doutent pas que cette crise n’est qu’une variante améliorée de crises déjà connues et prépare une autre dans une récurrence sans fin. Les causes de ces crises semblent quant à elles historiquement collées à l’intelligentsia « nationale » et restent incurablement inscrites dans les tares qui continuent à habiter le processus de succession des générations de cadres nationaux. Tenez ! Les intellectuels guinéens ont été jusqu’ici dans une incapacité notoire de construire un consensus durable. Les processus politiques ont été très tôt caractérisés par des violences, des exclusions, des marginalisations et des stigmatisations néfastes soit des corps professionnels l’un après l’autre soit des ethnies, les Peulhs plus souvent que les autres. Au début, ce sont les commerçants et entrepreneurs qui en ont fait les frais puis viendront les enseignants et les militaires avant que ce phénomène de « complot permanent » n’installe la division de tous les intellectuels devenus au fil des ans, les ennemis de leur propre devenir collectif. A force de lutter contre eux-mêmes, les intellectuels guinéens ont fini par tuer sinon dissimuler toutes les références communes avant de décider les ethnies à fonctionner comme des groupements humains repliés sur eux-mêmes dans un espace territorial où tout s’est mélangé sans s’intégrer faute de symboles et de monuments communs pour cimenter les liens socioculturels.

Aussi, les jeunes ne connaissent pas les héros et monuments d’hier et ne reconnaissent pas les chefs et références d’aujourd’hui. Ceux-ci se sont tellement critiqués que leur silhouette historique se banalise de jour en jour sous une aura devenant de plus en plus pâle et insignifiante. Pour tout dire la classe intellectuelle guinéenne ne tient plus debout dans une unanimité rentable. Aussi ne peut-elle pas tenir et entretenir longtemps un bien commun aux sens historique et national du terme. Voilà pourquoi elle se dispute aujourd’hui le seul bien commun qui lui reste à savoir la constitution. Demain ne risquerait-elle pas de se disputer le territoire guinéen ? Que personne ne réveille le manden djalon ni les soubresauts de Diécké ainsi que les conflits mineurs entre agriculteurs et éleveurs. Il n’y aura ni ministre ni gouvernement pour les gérer. Tous sont et restent cloîtrées dans les campagnes électorales, seul sujet durablement partagé. L’intelligentsia guinéenne traine une deuxième tare non moins néfaste : la faculté de travailler dans une infinie lenteur et d’oublier vite d’où elle vient. Les intellectuels ne semblent pas avoir le sens de l’urgence historique. Il arrive qu’ils se précipitent à prendre des décisions ou faire des recommandations. Mais ils ne se pressent guère à les mettre à exécution. Sur des sujets capitaux, il arrive qu’ils se taisent volontairement.

Au moins 17 étudiants guinéens sont exposés au coronavirus à Wuhan en Chine. Qu’a-t-on fait pour eux ? Comptez les draft’s de documents qui dorment dans les tiroirs de l’administration. Innombrables ! même si certains ne sont que des reformulations malignes des autres. Il suffit de revisiter les conclusions des Journées nationales de dialogue et d’initiatives d’août 2008 ; il y est bien mentionné en début des recommandations et en rapport avec le système judiciaire, de «mettre en place un cadre pour l’évaluation de la Loi Fondamentale en vue de sa révision dans certaines de ses dispositions ». On l’a fait au fil d ces dernières années suite à de larges consultations régionales dont les journées de dialogue n’étaient qu’une conclusion nationale qui a réuni l’essentiel de ce que la Guinée compte comme crème intellectuelle. A-t-on oublié ces larges concertations à la base qui ont donné la parole à tous ? Où étaient ces spécialistes de législation qui tympanisent aujourd’hui le peuple « mobilisé » de Guinée sur une certaine nécessité de changer la Constitution ? Où étaient-ils ceux qui n’ont jamais eu le temps d’informer les guinéens sur « les actes administratifs et législatifs » relatifs à leurs droits et devoirs ? C’est la deuxième recommandation de ces conclusions rappelées ici juste pour calmer les ardeurs de ceux qui se sont donné pour vocation d’entourer les chefs dans le but inavoué de fatiguer les populations de la Guinée indépendante ?

C’est vrai que ces journées de dialogue ne valent pas un référendum mais ont, mieux qu’un référendum, largement recueilli les opinions et sentiments des populations par le biais des administrateurs et élus à la base. L’actuelle constitution vient de cette large consultation nationale conduite, au début, par l’équipe de Kamano Michel du Conseil Economique et Social et finalisée par Ba Oury devenu dans le Gouvernement de Tidiane Souaré, Ministre de la Réconciliation Nationale, de la Solidarité et des Relations avec les Institutions. Il y a de nombreuses décisions majeures jamais appliquées dans ce pays de bavards et qui attendent les initiatives des intellectuels guinéens. Tournez et retournez vos archives et vous verrez combien de décisions stratégiques sont restées sans aucun projet de mise en oeuvre sous les yeux de cette bruyante et paresseuse intelligentsia urbaine de Guinée. Autrement bien de promesses faites en Haut-lieu seraient réalisées sans interpellations insistantes du Chef de l’Etat. Asseyez-vous, concevez et écrivez des projets bancables adaptés aux besoins et préoccupations du pays et tout le reste viendra sans bruit ! Et si on vous interrogeait sur votre neutralité politique en tant qu’administrateurs et techniciens ? Que chacun revienne rapidement à son rôle.

Essayons de faire une évaluation des plans d’actions liés aux plans et accords en cours. On sera édifié entre délais d’exécution ratés et faibles taux d’absorption des fonds, entre intentions volumineuses et réalisations marginales. Certains diront qu’il est fort difficile de mobiliser les intellectuels guinéens dans le délai requis et autour d’un travail rentable et profitable au grand nombre. Les intellectuels préparent et présentent mal les priorités de leur pays. C’est un troisième défaut de l’intelligentsia guinéenne. Il est même arrivé qu’on demande aux interlocuteurs étrangers, dans ce pays à « scandales », de « définir les priorités de la Guinée et d’en déterminer eux-mêmes les limites ». Cet extrait de discours de Chef Suprême témoigne du fait que probablement l’entourage n’avait pu l’aider à faire ce travail prioritaire. Les historiens le vérifieront ! En attendant bien d’épisodes historiques récents auraient pu laisser à la Guinée des infrastructures médicales, sociales et culturelles denses et solides si les intellectuels avaient creusé davantage leurs méninges pour élaborer des projets d’exécution des orientations contenues dans maints discours et documents stratégiques.

En voyant à la RTG, les comptes rendus des voyages présidentiels, on se demande souvent combien de projets bancables les experts et fonctionnaires des délégations avaient dans leurs sacs en s’embarquant avec le Président. En tout cas pour les mêmes lieux de visite, les autres délégations africaines reviennent souvent chez elles avec des accords de constructions d’hôpitaux, d’universités, de centres culturels ainsi que des financements acquis d’aménagements agricoles, de bourses d’études… La Turquie a fait beaucoup de choses au Sénégal en très peu de temps. Et pourtant Alpha Condé et Erdogan ont une amitié aussi forte que celui-ci et Macky Sall. Pourquoi le Palais du Peuple est en si piteux état après tant de voyages présidentiels en Chine ? Trois petits milliards de GNF prélevés sur le montant colossal du potlatch sino-guinéen ne pourraient-ils pas reconstruire ce Centre de Conférences si chargé d’histoire ? L’état de la Grande Mosquée Fayçal pourrait susciter une question presque similaire si on se reporte sur ce qu’on entend en rapport avec la générosité saoudienne.

N’est-il pas temps de repartir les tâches de manière à ce que la majorité des intellectuels s’occupent des travaux de mobilisation et de gestion rigoureuse de ressources extérieures et la petite minorité remuante s’occuperait alors des questions politiques sans trop de dommages sur la marche historique du pays à condition qu’elle soit sous une surveillance constitutionnelle draconienne ? N’est-il pas temps de sortir la Guinée de cette indolence technique qui lui vaut tant de retard en matière de développement ? A force de s’adresser mutuellement des critiques et des reproches acerbes, l’intelligentsia guinéenne s’est donné un quatrième défaut : elle est prolifique à produire des mots toxiques en direction des adversaires politiques. Faites la liste la plus récente des mots et expressions prononcés par la classe intellectuelle guinéenne surtout la classe politique : année sabbatique, coma politique, musée de l’incompétence, tortues, singes… Sait-on au moins que Dieu, Le Tout Puissant, a proclamé par un verset du Coran avoir maudit les gens du sabbat ?

Cette intelligentsia a certes des qualités mais ses défauts ont fini par les surplomber et les dissimuler derrière un rideau qui semble cacher la Guinée des radars des appels d’offres de la mondialisation. Elle ne figure souvent pas sur les listes des pays éligibles à maints projets régionaux de recherche et d’expérimentation scientifique. Estime-t-on que son intelligentsia est occupée à autre chose et pourrait, en conséquence, ne pas être intéressée par les grands changements du siècle ? Elle doit vite changer de paradigme dans tous les domaines pour voir améliorer sa participation à la gestion du monde. Cela devient de plus en plus urgent et important.

Par Lamarana Diallo [email protected]
https://www.publibook.com/ guinee-les-grimaces-d-uneintelligentsia- divisee.html

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