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Alpha Condé investi président, la répression à son comble

RÉPRESSION. Contexte préoccupant que celui de cette investiture. Organisations internationales et avocats dénoncent les dérives du système sécuritaire.

Par Agnès Faivre

Mardi 15 décembre, jour de l’investiture du président Alpha Condé au palais Mohammed-V, le Front national de défense de la Constitution (FNDC) avait prévu une marche pacifique. Une énième fois, ce mouvement citoyen entendait dénoncer le « coup d’État constitutionnel » qui a permis au président sortant de rempiler pour un troisième mandat. Et une fois encore, sa mobilisation n’a pas été autorisée. Est-ce par crainte de protestations isolées et sporadiques de ses militants que Conakry est sous haute surveillance ?

Sur le pont du 8-Novembre, l’accès à la presqu’île de Kaloum, quartier qui abrite le centre administratif, est complètement verrouillé. Les véhicules sont fouillés, et les motards, sommés de rebrousser chemin, notamment par des éléments des forces spéciales et des commandos du Bata (Bataillon autonome des troupes aéroportées). La portion de l’autoroute Fidel-Castro, qui mène de l’aéroport à Kaloum, est fermée à la circulation.

Mais c’est surtout la route Le-Prince, cette double voie qui traverse sur une vingtaine de kilomètres les banlieues nord supposées favorables à l’opposition, qui concentre cette débauche de forces de défense et de sécurité. Les trois corps de l’armée y sont représentés, avec la présence notamment de bérets rouges issus des bataillons de « commandos chinois » (formés par ces derniers) et des « Rangers ». À leurs côtés, gendarmes et policiers des Cmis (Compagnie mobile d’intervention et de sécurité), agents de la BAC (Brigade anticriminalité), de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention), ou du dernier-né de la police, l’Unité spéciale de protection et d’intervention (Uspi), officialisée début novembre. « Des patrouilles ont lieu jour et nuit », témoigne, inquiet, un habitant du quartier.

Dérive autoritaire

De mémoire de militaire, c’est la première fois qu’un tel dispositif sécuritaire est déployé à Conakry depuis 2010. Des renforts ont même débarqué du camp de Kindia (à 130 km à l’est de la capitale). Rappelons que la réquisition de l’armée avait été annoncée à la télévision publique quatre jours après le scrutin présidentiel du 18 octobre, quand les violences postélectorales endeuillaient le pays. Une décision alors endossée par le ministère de l’Administration territoriale, bien que cela ne relève pas en principe de sa compétence.

En somme, « ce n’est pas vraiment l’image d’une grande investiture et d’une cérémonie festive qui va être renvoyée, estime Ibrahima Diallo, chargé des opérations du FNDC et coordinateur en Guinée du mouvement Tournons la page. Mais cela montre le visage du régime en place. Si l’élection présidentielle s’était déroulée dans des conditions normales, pourquoi militariser la capitale ? On voit bien qu’on est passé d’un régime légal à un régime illégal, d’un régime démocratique à un régime autocratique. Le pouvoir a été confisqué par les armes en Guinée, et ce troisième mandat n’est pas légitime, il n’est pas été soutenu par le peuple. »

Comme les autres membres fondateurs du FNDC, Ibrahima Diallo dort rarement plus d’une nuit au même endroit. Responsables et militants du mouvement – qui a pourtant été considérablement affaibli par le « lâchage » de partis politiques lancés dans la course à la présidentielle et par l’interdiction de leurs manifestations depuis plusieurs mois – continuent d’être traqués par les forces de défense et de sécurité. Quarante-huit d’entre eux sont emprisonnés à ce jour selon le FNDC, dont Foniké Mengué, également coordinateur adjoint de Tournons la page. Il est détenu arbitrairement à la prison centrale de Conakry depuis son arrestation, le 29 septembre, alors qu’il s’apprêtait à manifester contre le troisième mandat d’Alpha Condé.

Des centaines d’arrestations

Parallèlement aux affrontements entre contestataires et forces de défense et de sécurité qui ont provoqué la mort d’une cinquantaine de civils, selon l’opposition, les vagues d’arrestations se sont particulièrement amplifiées après la présidentielle du 18 octobre. Trois cent vingt-cinq personnes ont été interpellées, selon un bilan du procureur général près de la Cour d’appel de Conakry rendu public le 31 octobre. Un décompte qu’actualise aujourd’hui Amnesty International : « Les autorités ont également procédé à au moins quatre cents arrestations arbitraires ciblant des opposants et des membres de la société civile après l’élection présidentielle », mentionne l’organisation dans un communiqué. Elle y détaille également les circonstances de certains décès enregistrés dans les banlieues nord, résultant d’« opérations à l’allure d’expéditions punitives contre les habitants d’un quartier tout entier », selon Fabien Offner, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« Répression implacable de l’opposition en Guinée », s’inquiétait, quant à elle, ce 11 décembre, l’organisation Human Rights Watch. « Il semble que la vaste majorité des personnes arrêtées ont été ciblées simplement en raison de leur affiliation politique connue ou supposée, ou parce qu’elles se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment », résume la chercheuse Ilaria Allegrozzi dans un communiqué qui appelle à libérer « les personnes injustement incarcérées ». Parmi celles-ci, des cadres de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, principal parti d’opposition), interpellées entre le 11 et le 13 novembre : le vice-président Ibrahima Chérif Bah, le coordinateur de la cellule communication Ousmane Gaoual Diallo, le coordinateur des fédérations Mamadou Cellou Baldé ou l’ex-directeur de campagne du parti à Kindia Abdoulaye Bah. Mais aussi Étienne Soropogui, président du mouvement « Nos valeurs communes ».

Des opposants accusés de détenir des armes de guerre

Le bilan de ces arrestations, « même s’il est difficile à établir avec exactitude », pourrait atteindre aujourd’hui « près de 500 arrestations », estime quant à lui Me Mohamed Traoré, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Guinée. Et de s’alarmer des infractions désormais reprochées à certains opposants : « Le doyen des juges d’instruction du Tribunal de première instance de Dixinn (commune de Conakry) a adressé une commission rogatoire à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) à l’effet d’enquêter sur de prétendus faits de fabrication, de stockage, de détention d’armes de guerre et de munitions. Cet acte est devenu une sorte de blanc-seing qui permet aux unités opérationnelles de la DCPJ de faire des descentes dans les quartiers favorables à l’UFDG pour procéder à des rafles. Des personnes âgées, des mineurs, des malades sont embarqués dans des pick-up sous la menace d’armes de guerre et conduits dans les différentes compagnies mobiles d’intervention et de sécurité où ils sont entassés comme du bétail. »

Des chefs d’accusation nettement plus graves que ceux qui visaient jusque-là des membres du FNDC (« manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à porter à l’ordre public », « participation délictueuse à un attroupement non armé sur la voie publique », etc.). « Aujourd’hui, pour diaboliser davantage les opposants et en particulier celui qui est considéré comme le principal d’entre eux [Cellou Dalein Diallo, qui revendique sa victoire à la présidentielle, NDLR], on parle de détention d’armes de guerre. Il y a eu tellement de morts lors des manifestations politiques que l’État ne veut pas en assumer la responsabilité. Il veut donc faire accréditer la thèse de l’implication de l’opposition dans les violences meurtrières. Comme si un opposant pouvait tuer ses propres militants », décrypte Me Traoré.

Surcharge de dossiers

Comment les avocats guinéens peuvent-ils, dans ces circonstances, assurer la défense de leurs clients ? Sachant que les arrestations se multiplient, et que le nombre de conseils engagés à assurer bénévolement la défense de ces opposants n’est guère extensible. « Le Collectif des avocats, dont j’assure la coordination, fait face à d’énormes difficultés dans la gestion de ces dossiers, concède Me Traoré. Il nous est difficile parfois d’être présents devant toutes les juridictions. Il y a même des audiences de flagrant délit qui se tiennent sans que nous n’en soyons informés. Par ailleurs, avec un régime qui se durcit de plus en plus, nous nous exposons et exposons nos proches. L’autre difficulté majeure que nous rencontrons, c’est que l’indépendance de la justice est une chimère, surtout lorsqu’il s’agit de ce type de dossiers. Bien entendu, personne ne le reconnaîtra officiellement, mais c’est une réalité. »

Deux conseils français pourraient bientôt leur prêter main-forte. Ce lundi 14 décembre, Mes Patrick Klugman et Ivan Terel, tous deux avocats au barreau de Paris, ont annoncé dans un communiqué avoir été saisis par des proches d’Ibrahim Cherif Bah. « Ils se sont rapprochés de notre cabinet et nous ont mandatés en urgence afin de rejoindre le collège d’avocats assurant sa défense ainsi que celle de MM. Ousmane Gaoual Diallo, Étienne Soropogui, Abdoulaye Bah et Mamadou Cellou Baldé. […] Nous souhaitons nous rendre au plus vite à Conakry pour participer à la défense de M. Bah et de ses compagnons d’infortune et déterminer si les poursuites lancées contre les personnes mises en cause obéissent à des considérations autres que politiques et offrent à ceux qui les subissent la possibilité de faire efficacement valoir leurs droits », écrivent-ils. Le binôme évoque également la possibilité de saisir « les instances régionales et internationales sur la situation politique et judiciaire en Guinée » et d’amplifier « les efforts déployés par [leurs] confrères guinéens et les organisations de défense des droits de l’homme ». Un soutien non négligeable face au rouleau compresseur de l’appareil sécuritaire, voué à museler toute forme d’opposition au troisième mandat d’Alpha Condé.

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