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Guinée : de quoi le CNT est-il le nom ?

Commençons par le début, le basique. Ces trois lettres, très en vogue sous les cieux guinéens et partout où la République se ramifie, signifie, et cela n’a rien de fortuit, « Conseil national de la transition ». C’est un organe qui commence à connaître les Guinéens, non pas seulement en raison de l’engouement et parfois de la cacophonie qui règnent autour de ce qu’il est et de ce qui devrait être sa mission, mais en raison de l’expérience transitionnelle de notre pays.

Si les deux premiers mots peuvent laisser place à interprétation et appeler, de par leur sens, à une certaine incarnation, le dernier rappelle deux choses fondamentales. Il s’agit d’un moment censé être mis à profit pour, dans un premier temps, rompre avec certaines pratiques notamment institutionnelles du passé et, dans un deuxième temps, d’en poser de nouvelles bases. Ces dernières doivent naturellement s’inspirer de tout ce qui fut positif pour appréhender aussi bien les mutations économiques, sociales, administratives, technologiques que l’innovation dans la prise en compte des spécificités de notre pays (environnementales notamment).

In concreto, le CNT n’est pas seulement la substitution du pouvoir législatif, il devrait jouer le rôle du Pouvoir constituant. Celui de la refondation des relations entre gouvernants et gouvernés, des institutions entre elles et d’autres questions de cette nature. C’est un pouvoir qui est souvent issu des révolutions, ce qui, dans le cas guinéen, revient généralement à des coups de force militaires. D’où la nécessité d’entériner ces réorientations fondamentales par la plus haute des légitimités : l’expression référendaire du peuple.

Pouvoir législatif donc !—-

Dans la répartition très classique des pouvoirs, le CNT, après avoir rempli sa mission de pouvoir constituant, devrait, dans une certaine mesure et dans une deuxième phase, assumer la fonction attribuée à tout pouvoir législatif. Autrement dit, légiférer sur des questions relativement secondaires, pour peu que deux exigences soient observées. Il faudrait d’abord que le temps, lui-même transitoire, le permette. Ensuite, que le législateur « post-transition » ne soit pas en mesure de s’en occuper (possible mais très discutable).

——Euphémisme—

Il va de soi que si le CNT est un organe législatif. Il en résulte qu’il ne peut jouer le rôle du pouvoir exécutif. C’est justement dans ce sens que la cacophonie règne auprès de la plupart de ceux qui aspirent à y siéger. À la lecture des uns, on croirait qu’ils se substitueront au président de la transition pour redresser le pays. Et à l’écoute de ce qui peut (devrait ?) être la profession de foi de certains autres, on a l’impression que le ministère du travail délocalise au Palais du Peuple. Il n’en sera rien. Autant le dire maintenant. Le rôle d’une Assemblée nationale, de surcroît un CNT, qui plus est devant remplir la mission du Pouvoir constituant, ne peut être confondu avec la mission de l’exécutif.

—Qu’attendons-nous in fine du CNT—

Dans l’optique d’une nécessaire distinction entre les lois et leurs effets aussi bien structurels que sociaux ou économiques, les points suivants pourraient être au centre des missions du CNT :

1-      Sans se perdre dans des débats idéologiques interminables, il est temps de dessiner (je pèse mes mots) un régime politique pour notre pays. Dessiner d’abord et le qualifier ensuite. La pratique nous dira s’il s’agit d’un régime présidentiel, parlementaire ou le semi de ces deux derniers. Mais il est temps de mettre fin au présidentialisme qui, en empiriquement, a été le seul en vigueur depuis toujours. C’est un décalage dangereux pour la démocratie, improductif pour l’économie nationale et il constitue par-dessus tout un terreau fertile pour l’« omniprésidentialisme ». (Cf. Articles 21, 24 de la Constitution du 10 nov. 1958 ; 24, 32, 39 et 40 de la Constitution du 23 déc. 1990 ; 37 de la Constitution du 7 mai 2010, 39 al. 2, 50 de la Constitution du 22 mars 2020, …)

Dans nos Constitutions successives, le principe selon lequel « par la disposition des choses, le pouvoir doit arrêter le pouvoir », a laissé place à l’hyper-individualisation de celui-ci. Des textes souvent établis ou révisés au gré des aspirations personnelles en dehors de tout contrepouvoir réel. Pour peu qu’elle ait existé, la séparation textuelle des fonctions n’a jamais été probante dans la réalité.

2-      Adapter la représentation nationale aux mutations démographiques et à l’exigence d’une meilleure représentativité de nos territoires. Le monocamérisme sonne comme ce qu’il y a de plus décalé dans la vie démocratique de notre pays. En sus, une deuxième chambre répondrait, au-delà même de sa mission législative sur des questions spécifiques, à la solidité républicaine de nos territoires et de notre vivre ensemble. L’éventuel débat sur sa dénomination serait ce qu’il y a de plus insignifiant dans la mesure où ses attributions primeraient. En outre, le législatif doit pouvoir jouer pleinement son rôle dans le contrôle de l’exécutif sans céder ni à la démagogie, ni aux oppositions stériles qui peuvent futilement bloquer le pays. Représentant de la Nation !

3-      Aller encore plus loin dans la décentralisation. L’arsenal législatif existant sur cet aspect n’est pas des plus mauvais, loin de là. Mais pour autant, il est indispensable que les collectivités territoriales s’en saisissent et qu’elles osent (enfin) sortir du protectorat de fait des autorités déconcentrées. Il faudrait  donner corps et parfaire la décentralisation entamée des Régions, en leur donnant un pouvoir d’action réel (non pas uniquement un Conseil dont les avis ne ont pas nécessairement conformes).

Et la décentralisation de la Zone spéciale de Conakry ne devrait pas non plus être un tabou. Au contraire, il semble nécessaire de sauter le pas. Un grand Maire élu de Conakry pourrait même aider à endiguer le présidentialisme dans la mesure où il rendrait compte de la sécurité, de la salubrité et de la tranquillité publiques, sans qu’on indexe à tort le président de la République. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’hyperprésidence est une insécurité, une désacralisation de la fonction. Un président qui, parfois malgré lui, gère tout, finit par s’exposer à tout.

4-      Renforcer la législation économique de notre pays. Il faudrait entériner les aspects positifs du Code minier par exemple, en corriger les limites. Nous sommes la Guinée et dans le domaine minier, il est rare de pouvoir dire mieux. C’est pourquoi, la législation doit être renforcée pour lutter contre la corruption notamment dans ce secteur, s’assurer de l’exigibilité fiscale des entreprises, de la protection de notre environnement, du développement des infrastructures routières et ferroviaires, du transfert des compétences. La liste n’est pas exhaustive.

5-      Toutes ces réformes ne peuvent être d’une quelconque efficacité sans un pouvoir judiciaire compétent, indépendant et raisonnablement entretenu pour assumer son impartialité. L’institution judiciaire doit être dépolitisée et dépersonnalisée. Car sa fébrilité entraînerait nécessairement la destruction de toute la chaîne institutionnelle et porterait atteinte à l’équilibre du pays. À  cela s’ajoute l’érosion de la confiance si indispensable des citoyens et des entreprises dans son fonctionnement.

En somme, les enjeux sont énormes, la situation cruciale et l’occasion « ultime ». Nous n’avons plus une once de temps à accorder aux egos. C’est l’avenir du pays qui se joue. La contribution de l’ensemble des forces vives de la Nation pourrait être utile. Est-il néanmoins important de ne pas confondre l’objet essentiel et l’envergure de la Constitution avec les travaux qui relèvent d’une loi organique, d’une loi ordinaire et parfois même d’une ordonnance ou une circulaire (exécutive). Il ne faudrait pas non plus réduire le rôle du Parlement aux différentes Commission au sein du pouvoir législatif (qu’elles soient de travail ou d’enquête). Contenant et contenu !

La loi n’est-elle pas définie par son caractère obligatoire, général et impersonnel ? Alors comment peut-on imaginer une constitution bavarde, s’occupant de si nombreux détails qu’elle finit par perdre sa fondamentalité et sa transcendance pour ne pas dire sa « sacralité »?

Il faudra donc une plus grande lucidité pour ne pas confondre amour et tambour, vitesse et précipitation, ambition personnelle et service à la République. On ira pas jusqu’à invoquer la légistique, toujours est-il que s’en approcher ne pourra que renforcer notre arsenal juridique. L’élaboration rigoureuse des textes ne fait pas tout, mais elle constitue la base de leur applicabilité (juges et justiciables). Par ailleurs, ceux qui sont compétents pour légiférer ne sont pas nécessairement ceux qui doivent assumer le rôle de conseillers en raison de leurs expériences ou expertises. Il faut une combinaison des deux car la substitution des uns par les autres risque de pousser la montagne à accoucher d’une souris. Nul ne met en doute la nécessité du Rassemblement et de l’Union nationale, mais cela ne devrait pas non plus se faire au détriment de la rigueur qu’impose chacun des Organes de cette transition. C’est de cette façon-là qu’on pourra bâtir une véritable cohésion nationale.

Galissa Hady DIALLO
Docteur en droit public économique

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