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MALI : Répression meurtrière des manifestants et attaques contre les médias

ARTICLE19 condamne fermement la répression meurtrière des manifestations de 10 et 11 juillet 2020 au Mali, qui a coûté la vie à 11 manifestants dont 2 mineurs, blessé au moins 140 autres et entraîné l’arrestation des dizaines de personnes. Il a également été constaté des perturbations de l’internet, qui ont  empêché l’utilisation des médias sociaux, ce qui constitue une grave violation du droit d’accès à l’information et de la liberté d’expression.

« La protestation est un droit. Les gens doivent pouvoir s’exprimer en ligne et dans la rue. Cependant, au lieu de faciliter le droit de manifester, les autorités ont réprimé la population avec une force brutale. Une enquête doit être menée et les responsables présumés traduits en justice », a déclaré Fatou Senghore, Directrice Régionale de ARTICLE 19 Sénégal et Afrique de l’Ouest.

Le Mali traverse, au lendemain des dernières élections législatives et locales, une crise sociopolitique qui a vu la naissance d’une coalition de leaders religieux, politiques et de la société civile, le M5- RFP (Rassemblement des Forces Patriotiques), réclamant la démission du Président de la République Ibrahim Boubakar Keita « IBK » et de son régime. Après une série de manifestations pacifiques les 5 et 19 juin, le M5-RFP avait appelé à une journée de désobéissance civile le vendredi 10 juillet pour rejeter les mesures prises par le président IBK en représailles à ces revendications. La manifestation publique organisée le vendredi 10 juillet, qui devait initialement être pacifique selon les dirigeants du M5 – RFP, a dégénéré en violence et a paralysé la ville de Bamako les 10 et 11 juin, avec des réactions conséquentes qui se sont poursuivies jusqu’au lundi 13 juillet 2020. Les attaques contre les institutions de l’Etat, le saccage de certains édifices gouvernementaux dont l’Assemblée nationale, le vandalisme et le pillage de certains biens publics par les manifestants, l’occupation de la cour de la radio nationale (ORTM) qui a provoqué l’interruption temporaire des programmes, sont entre autres signes évidents du dérapage de la manifestation pacifique dans la violence.

Pour contenir la manifestation, les forces de sécurité ont réagi avec une force excessive,  tirant des gazs lacrymogènes et à balles réelles sur les manifestants, ce qui a entraîné une répression sanglante causant des morts, procédé à des arrestations dont cinq dirigeants du M5-RFP et des dizaines de militants. Deux journalistes ont également été attaqués par des personnes non identifiées.

“Personne ne devrait craindre pour sa vie lorsqu’il descend dans la rue pour manifester ses opinions politiques. Aucun journaliste ne devrait être violenté dans l’exercice de sa profession. La liberté d’expression en ligne et l’accès à l’internet doivent être garantis en tout temps, y compris pendant les manifestations” a insisté Fatou Senghore.

ARTICLE 19 condamne fermement l’usage excessif de la force ayant entraîné la mort de manifestants assimilable à des exécutions illégales, ainsi que l’arrestation de personnes sans les traduire devant un juge. L’organisation demande instamment au gouvernement d’enquêter rapidement et de manière indépendante sur ces allégations, de libérer immédiatement et sans condition les personnes arrêtées simplement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, sans être associées à la violence. Seules les personnes soupçonnées d’avoir commis un acte criminel devraient être arrêtées et traduites devant un juge. Le gouvernement ne peut pas arrêter et détenir arbitrairement des personnes sans les traduire en justice, car cela les prive de leur droit de contester la légalité de l’arrestation.

« Le Mali a la responsabilité de protéger le droit à la vie et de garantir les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’accès à l’information, y compris en ligne. La liberté de réunion et de manifestation est garantie par l’article 5 de la constitution malienne ». 

La Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) s’est vue refuser l’accès aux cellules de garde à vue pour vérifier les informations sur les arrestations. Les surveillants du Camp I à Bamako ont refusé de mettre à sa disposition la liste des personnes en garde à vue. Selon la loi, la CNDH est autorisée à effectuer des visites régulières et inopinées dans tous les lieux de détention.

Le 13 juillet, les principaux dirigeants du M5- RFP ont été libérés mais, selon un membre du Comité du M5- RFP, on ignore toujours où se trouve l’un d’entre eux. Aussi, plus de 30 manifestants seraient toujours détenus illégalement. Nous regrettons que les personnes détenues n’aient pas eu accès à un avocat et, pour certaines d’entre elles, à leurs familles.

Usage excessif de la force et exécutions illégales

Le vendredi 10 juillet 2020 a été dominé par des tensions intenses à Bamako où le Mouvement M5-RFP a organisé une manifestation pour exiger la démission du président de la république ainsi que des réformes institutionnelles. Les forces de sécurité ont eu recours à un usage excessif de la force, causant des morts, des blessés et des arrestations.

« Les responsables de l’application des lois doivent respecter les obligations qui leur incombent en vertu de la Constitution et du droit international. Ils doivent respecter et protéger le droit à la vie, à l’intégrité physique et à la sécurité de tous. Mais le nombre élevé de personnes blessées et tuées lors de la manifestation semble indiquer que les forces de sécurité ne cherchaient pas à maintenir l’ordre public en utilisant la force minimale nécessaire ».

« Nous condamnons les exécutions illégales, l’usage excessif de la force, les mauvais traitements et les arrestations arbitraires. Les autorités auraient dû faciliter le droit de manifester et protéger activement les manifestants. Au lieu de cela, au moins 11 personnes ont perdu la vie et 140 ont été blessées. Le gouvernement doit maintenant enquêter sur ce qui s’est passé et veiller à ce que les auteurs présumés soient tenus de rendre des comptes ».

Si un groupe de manifestants n’agit pas pacifiquement, la police doit se concentrer sur la désescalade et veiller à ce que le droit de manifester soit respecté. Les stratégies de désescalade comprennent la communication, la négociation et le dialogue. La police doit différencier les comportements individuels et collectifs et identifier les personnes qui agissent illégalement. Les armes à feu ne devraient jamais être utilisées pour disperser les manifestants.

L’utilisation d’armes à feu lors des manifestations augmente le risque de blesser ou de tuer des manifestants ou des spectateurs pacifiques ou même de provoquer une nouvelle escalade de la violence. De plus, tirer sur une foule qui proteste est une violation du droit à la vie. En tout état de cause, l’utilisation d’armes à feu doit être considérée comme potentiellement mortelle en toutes circonstances ; même le fait de tirer en l’air peut entraîner la mort.

Les forces de l’ordre ne peuvent recourir au moyen létal que lorsque cela est strictement nécessaire pour protéger la vie. Ils doivent empêcher tout usage disproportionné ou excessif de la force contre les manifestants et se conformer pleinement aux normes internationales sur l’usage de la force et des armes à feu.

Attaques contre des journalistes 

Le 10 juillet 2020, des manifestants ont fait irruption dans les installations de l’Office de Radio et Télévision du Mali, (ORTM), ont  endommagé des biens et  des parties du bâtiment. Les programmes ont été interrompus dans l’après-midi. Le lendemain que l’ORTM a repris convenablement ses programmes.

Selon un post de Energie TV, des inconnus ont attaqué deux de ses reporters et les ont dépouillés de leurs effets personnels et professionnels alors qu’ils rentraient du travail le 10 juillet 2020 à Bagdadji.

« Nous sommes totalement indignés par l’attaque contre l’ORTM. Les journalistes ne devraient jamais être attaqués parce qu’ils font leur travail. Les journalistes et les médias sont des acteurs importants dans la résolution de la crise sociopolitique au Mali.  Ils ont le devoir de rechercher et de diffuser l’information afin que les citoyens soient conscients de la situation« , a dit Fatou Senghore.

Les médias et les journalistes doivent être en mesure de faire leur travail sans être harcelés. Le gouvernement devrait enquêter sur ces incidents et traduire les auteurs présumés en justice. ARTICLE 19 appelle en outre le gouvernement à utiliser tous les moyens légaux pour assurer la sécurité des journalistes et des organisations de médias. Les manifestants doivent s’abstenir de toute violence, en particulier contre les médias et les journalistes.

Perturbation de l’internet pendant plus de 48 heures

Entre le vendredi 10 et le samedi 11 juillet 2020, le Mali a connu un dysfonctionnement de l’Internet, les réseaux sociaux ne pouvant plus fonctionner (Twitter, Facebook, Instagram). Les utilisateurs ont dû recourir au réseau privé virtuel (VPN) pour rester connectés.

Fatou Jagne Senghore a déploré la censure arbitraire, soulignant que : « Les restrictions d’Internet sont une autre forme de répression des manifestants. Le gouvernement doit s’abstenir de toute restriction du droit à la libre expression et doit utiliser des moyens pacifiques de dialogue, comme le demandent les représentants de la CEDEAO, de l’UA, de l’UE et des Nations unies au Mali. L’accès à Internet est essentiel pour l’exercice des droits à la liberté d’expression, à l’accès à l’information et à d’autres droits à l’ère du numérique. Couper ou ralentir l’accès à l’Internet ne peut jamais être justifié pour quelque raison que ce soit, même pas pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale« .

Les représentants de la CEDEAO, de l’UA, de l’UE et des Nations unies au Mali ont, dans un communiqué conjoint, exprimé leurs préoccupations, condamné la violence et appelé les parties concernées à engager le dialogue et à recourir à des méthodes pacifiques.

La déclaration africaine des droits et des libertés de l’internet stipule que « le droit à la liberté d’expression sur l’internet ne peut faire l’objet de restrictions, sauf celles prévues par la loi dans un but légitime, nécessaires et proportionnées dans une société démocratique, conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme ».

Le non-respect des obligations internationales

Le Mali est tenu de respecter les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’il a signés, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique soulignent que la protestation est un droit. Les lignes directrices de la Commission africaine sur le contrôle des rassemblements par les forces de l’ordre en Afrique définissent les principes que les forces de sécurité doivent suivre lors des manifestations. Elles définissent le rôle principal des forces de l’ordre pendant les manifestations « pour assurer la sécurité publique et sauvegarder les Droits Humains de toutes les personnes ».

La dispersion d’une manifestation ne doit être utilisée qu’en dernier recours et dans des circonstances exceptionnelles ; la force ne doit jamais être utilisée pour disperser une manifestation pacifique. La police devrait donner la priorité au dialogue et éviter l’usage de la force, même si la manifestation n’est pas autorisée. L’arrestation ou la détention est arbitraire si elle a lieu en réponse à l’exercice des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Tout recours à la force par les autorités contre une assemblée, qu’elle soit pacifique ou violente, doit être conforme aux principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu, au code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois et aux lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique.

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