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Mystification intellectuelle, voire escroquerie morale ?

Au-delà de la « forclusion » de deux mandats, celui qui succède les deux premiers précédents, c’est le lieu de faire du pléonasme, peut-il être baptisé « premier » ?
Cela est possible dans un pays où il existe une attitude ambivalente à l’égard du droit, mieux, où flotte dans l’air une conception radicalement disjonctée du droit. La dévalorisation de la règle va de pair avec son inflation.
Ainsi, a-t-on connu en Afrique des constitutions, qui ne sont d’abord que des mots, des mots magiques en raison des prestiges entourant leur profération, puis désenchantées par la dure réalité d’un contexte où on ne peut abolir l’histoire.
Mais plus du demi-siècle écoulé depuis les indépendances, révèle un parcours encore chaotique ou le scepticisme ne succède pas seulement à l’enthousiasme mais télescope avec lui. Ainsi, de l’adoption des constitutions en Afrique, on est frappé du contraste entre les réserves de la doctrine et les adhésions massives annoncées.
Toutefois, on peut se demander si la consécration de la hiérarchie des normes si essentielle soit-elle, résume la signification de la constitution et renvoie à la préhistoire de la politique. N’est-ce pas aussi et d’abord un instrument de gouvernement ? A l’évidence, elle n’est jamais neutre.
En Guinée, la fameuse constitution du 22 mars a ouvert une phase de perplexité. Peut-on à travers les vicissitudes de la notion de constitution, tout à tour enchantée et désenchantée de parler de compteur remis à 0 ? En d’autres termes, ce n’est pas le droit constitutionnel, mais la science politique, c’est-à-dire celle que produit le suffrage universel qui doit être privilégiée, car la constitution n’est qu’un habillage formel d’une réalité sociale qui est déterminante.
Au préalable, on peut s’interroger : Peut-on faire table rase du droit préexistant et recommander de 0 le comptage des mandats ? Telle que soulevée, la question suppose une nouvelle loi fondamentale. Selon qu’on se place sur un plan strictement juridique ou sur un plan politique, la réponse peut varier.
Sur le plan juridique : D’emblée, seul un nouvel acte constituant peut faire table rase en pulvérisant l’ordre juridique préexistant ; seulement il balaie tout sur son passage (constitution, institutions, le président de la République avec, car ce dernier tire son existence et sa compétence de la constitution de 2010… !
Sur le plan politique : Le président de la République a jugé et estimé de manière autocratique, que le comptage des mandats commence après la dernière révision. Il pourra alors faire un 3ème mandat. L’idée de la nouvelle République mettant le compteur à 0 n’est pas doctrinale, elle est politique ! Elle n’a aucun fondement juridique même dans la doctrine ;  cela n’est écrit nulle part, dans aucun livre traitant du droit.
La notion de nouvelle République n’étant utilisée par les hommes de droit que pour marquer les changements fondamentaux, dans la relation entre les institutions politiques que sont l’exécutif et le parlement.
Ainsi, on parlera de nouvelle République, lorsque que l’on passe d’un régime présidentiel à un régime parlementaire. Par ailleurs, si on veut être cohérent, pourquoi c’est seulement le mandat présidentiel qui est remis à 0 et pourquoi pas tous les autres mandats ?
A ce sujet, je me range derrière les nombreux auteurs qui dénient la qualité d’interprète de la constitution au Chef de l’Etat et consacre la nécessité d’une justice constitutionnelle seule à même de répondre à l’exigence de neutralité. La problématique de l’interprétariat de la constitution a donné lieu à une des plus célèbres controverses doctrinale, sous le prisme de la fonction de gardien de la constitution.
La fameuse constitution de 2020 attribue également au président de la République, le rôle de garant de la constitution. Mais elle ne parvient pas à établir la neutralité effective de l’une ou de l’autre de ces autorités. La juridictionnalisation du Conseil Constitutionnel étant un phénomène encore inachevé, on ne peut effacer l’origine politique de l’institution.
Une règle juridique peut bien demeurer formellement inchangée et pourtant acquérir un sens entièrement nouveau sous l’effet de ces forces politiques. Avec la logique formelle seule, on en vient aisément à donner du droit public, un tableau auquel rien ne correspond dans la réalité des choses.
Mais que peut le droit en l’absence d’un contre-pouvoir effectif ?
Cette façade démocratique contrôlée, destinée à couvrir l’absence d’alternance au pouvoir, s’effritera-t-elle ? Et que risque le pays ?
Conclusion : les juristes doivent cesser de faire de la politique et faire que le droit.
Suivez mon regard !
Accordons-nous à distinguer présidentialisme démocratique, malgré l’oxymore, et présidentialisme autocratique, malgré le pléonasme.
Thierno Seydou Bayo
Ecrivain

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