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Aminata Kaba : « Je suis une guerrière ! »

C’est incontestablement l’atout charme du gouvernement de transition du Colonel Doumbouya.
Ministre de l’Information et de la Communication, Aminata Kaba (ingénieure télécoms de
formation) donne une image positive de la nouvelle Guinée où elle se bat pour encourager le
leadership féminin. Interview exclusive.

Parlez-nous d’abord de la femme que vous êtes….
Mme Aminata Kaba – Avant d’être promue ministre de l’Information et de la Communication,
j’étais (de novembre 2021 à août 2022) ministre des Postes, des Télécommunications et de
l’Économie numérique de la République de Guinée. Je suis en effet ingénieur télécoms de
formation et je viens juste de finir mon diplôme d’Executive MBA à HEC Paris. Mais je suis aussi
une femme comblée, mère de trois enfants, dont un bébé qui vient d’avoir un an cet été. Une fille et
deux garçons. C’est le choix du Roi.

Quand le Président Doumbouya vous a proposé ce nouveau poste, vous n’avez pas hésité ?
Pas un seul instant car, pour moi, il était important que je puisse participer au développement socio-
économique de mon pays. Si l’on veut changer les choses en Guinée, il faut mettre soi-même le pied
à l’étrier. J’aime mon pays, même si j’ai aussi vécu et étudié à l’étranger. Preuve en est : j’ai déjà
démissionné deux fois de postes importants pour rentrer en Guinée et venir servir cette Nation en
pleine reconstruction que je chéris tant. C’est un honneur et un privilège d’être arrivée au sommet de
l’État et de faire partie de son gouvernement.

Et vous avez quitté le secteur privé pour entrer au gouvernement…
En réalité, j’ai démissionné par deux fois d’importantes fonctions à l’étranger. J’ai démissionné d’un
poste de fonctionnaire international à l’UNICEF, pour laquelle j’ai travaillé pendant deux ans en
République centrafricaine au poste de « Telecom officer », avant d’être affectée en Guinée Bissau.
Mais j’ai refusé le poste car je voulais rentrer en Guinée et servir mon pays. J’ai décidé alors de
rentrer à Conakry et de travailler dans le secteur privé chez un opérateur télécoms de la place pour
me rapprocher non seulement de ma famille, mais aussi pour pouvoir m’impliquer au niveau
national… Je fus ensuite directrice des opérations chez le régulateur ici en Guinée, puis j’ai eu un
poste au sein de l’Union internationale des télécommunications, au bureau régional de Dakar, où
j’étais administratrice de programmes pour la sous-région. Je coordonnais les activités des centres
d’excellence et de formation de toute l’Afrique et les projets pays de l’Afrique.
Ensuite, j’ai occupé successivement le poste de DGA chez l’autorité de régulation et de la société de
gestion du Backbone national avant d’entrer au gouvernement.

D’où vous vient cette formidable énergie ?
Les gens me trouvent énergique, mais en réalité j’aime beaucoup ce que je fais, je suis une
passionnée et j’aime cette Nation. Je trouve aussi ma force, ce courage et toute cette énergie dans la
foi que j’ai en Dieu. Je trouve énormément de ressources dans la prière et suis très pieuse.

Musulmane, j’imagine ?
Je suis de confession musulmane en effet et ne m’en cache pas. Je cultive beaucoup l’excellence et je pense qu’il faut toujours aller au bout de ses convictions. Il est important de redoubler d’efforts
dans le travail que nous faisons au service de la Nation. Dans tout ce que l’on fait, il faut toujours
essayer d’être le ou la meilleure : le meilleur artisan, la meilleure secrétaire, la meilleure ingénieure
télécoms…

Pensez-vous être devenue un modèle pour vos sœurs africaines ?
Modestement, je pourrais dire oui. Avec beaucoup d’humilité, je pense que j’essaie d’apporter une
pierre à l’édifice des femmes leaders de ce pays et même d’Afrique car il faut comprendre qu’en
général le parcours d’une femme n’est pas très facile, qu’elle soit guinéenne, européenne ou
asiatique. Être une femme leader, c’est beaucoup de combats car les femmes sont victimes de bien
des préjugés, de beaucoup de pressions sociales, économiques et culturelles.
En tant que mères de famille nous faisons beaucoup de sacrifices pour pouvoir mériter la place
qu’on occupe et parfois même au détriment de nos vies personnelles. C’est bien que cela soit
reconnu. Ce n’est pas parce que nous sommes des femmes que l’on n’a pas droit au bonheur, que l’on
doit choisir entre la vie professionnelle et la vie personnelle, que l’on n’a pas le même mérite et la
même ambition que les hommes d’être à des postes à responsabilité.

Comment concilier vie familiale et vie professionnelle au plus haut niveau ?
Cela demande beaucoup d’amour ! J’ai un soutien inestimable de mon époux (qui est Officier
supérieur de l’armée américaine, à la retraite) et de mes enfants qui comprennent parfaitement les
responsabilités que j’ai au quotidien. Mes frères et sœurs sont toujours là pour me soutenir, même
dans les moments les plus difficiles. Ils forment autour de moi un cocon. Mes parents et mes amis
les plus proches me soutiennent sans arrêt, m’encouragent et me disent toujours de ne pas baisser les
bras malgré les difficultés que je rencontre au quotidien. Il me faut donc puiser des forces et cultiver
sans cesse l’amour que j’ai pour mon pays et pour le travail.

Passons aux questions de société. Qu’en est-il de la polygamie en Guinée ?
Les choses sont simples car, en Guinée, la polygamie est interdite. La loi guinéenne est très claire à
ce sujet. Mais il y a cependant beaucoup de polygames. C’est à la fois culturel et religieux.
Personnellement, je n’apprécie pas la polygamie, mais je respecte le choix de chacun car il y a des
réalités culturelles. Aujourd’hui, il y a même des jeunes filles qui acceptent d’avoir un époux
polygame. C’est donc vraiment un choix personnel et familial. Ces femmes qui sont dans cette
situation sont franchement à respecter… Certaines n’ont pas le choix et subissent, mais elles
acceptent de rester – pour des raisons sociales ou culturelles – dans ce genre de situation qui leur est
imposée parce qu’elles n’ont pas d’indépendance financière, parce qu’il y a la pression familiale ou
qu’elles ont des enfants et peur de refaire leur vie. Il y a donc beaucoup de facteurs personnels.

Que pensez-vous de l’excision ?
L’excision, c’est une mutilation. Et la pratiquer sur des petites filles ou des bébés, c’est quelque
chose d’atroce ! Il faut beaucoup de pédagogie et de sensibilisation pour que les femmes mettent fin
à ce genre de pratiques. Mais nous devons comprendre que l’excision, c’était parfois un sujet tabou :
les jeunes filles qui n’étaient pas excisées étaient considérées comme des filles légères et faciles.
Aujourd’hui, il y a heureusement un changement de mentalités et l’on fait comprendre aux jeunes
filles qui ne sont pas excisées que ce n’est pas un problème, bien au contraire. Je suis sûr que, si
elles avaient le choix, beaucoup de jeunes filles refuseraient. D’autant plus que ce n’est marqué nulle
part dans la religion musulmane. C’est une interprétation erronée de la religion, mais ancrée depuis longtemps dans notre culture.

Revenons à vos responsabilités. Au poste que vous occupez aujourd’hui, quelles sont vos
priorités pour la Guinée ?

Il me semble important que l’on puisse mettre en avant les actions du gouvernement, que la
population puisse être informée, que l’on ait une politique de proximité, que l’on prenne en compte
les maux de la société afin d’ améliorer les conditions de vie de notre population.
En qualité de ministre de tutelle, il me semble nécessaire que les gens éduqués ou non puissent être
correctement informés de tout ce qui se passe au niveau de notre Nation et de tout ce que nous
faisons pour eux. Pour ce qui est de mon Ministère, il est important de moderniser les différents
équipements des médias publics pour couvrir l’ensemble du territoire national car l’information est
un droit civique. Il faut donc mettre à disposition des programmes et des contenus qui répondent
aux besoins socio-culturels de nos populations.

Et vous souhaitez lancer en Guinée une nouvelle chaîne de télé thématique ?
C’est en réalité un projet présidentiel, que je fais mien. Le président de la Transition, le Colonel
Mamadi Doumbouya, qui est un visionnaire, a demandé au ministère de l’Information et de la
Communication de mettre en place une nouvelle télé essentiellement dédiée à la jeunesse et à
l’éducation. Car ce sont des secteurs prioritaires pour ce gouvernement et la jeunesse est au centre
des préoccupations du Président. C’est un de nos défis majeurs. Nous avons pris l’initiative de lancer
un concours à ce sujet car cette télé pour les jeunes doit être faite par les jeunes. Qui mieux que les
jeunes pour parler des maux de leur génération et de leurs préoccupations ? Qui mieux que les
jeunes pour mettre en lumière leurs envies, pour parler de leurs projets en respectant leurs codes ?
Vous avez initié et mené à bien la première Semaine nationale des Métiers de l’Information et
de la Communication (SENAMIC), qui a eu au Palais du Peuple de Conakry un grand succès.

Pour un coup d’essai, n’est-ce pas un coup de maître ?
Je ne dirais pas un coup de maître, mais je me sens très satisfaite de ce qui s’est passé durant ces
cinq jours, qui se sont achevés par un dîner de gala et la remise des « Djassa d’Or ». Nous avons eu
en effet l’honneur de recevoir tout un panel d’experts nationaux et internationaux qui sont venus
nous apporter leur soutien et partager leurs expériences en animant plusieurs tables rondes sur
différentes thématiques comme la TNT, le leadership des femmes dans les métiers de la
communication, etc.

Ce fut à l’arrivée un cocktail assez plaisant dont nous sommes assez fiers pour cet événement qui est
une première non seulement en Guinée mais dans la sous-région. C’est pourquoi, je peux vous
annoncer d’ores et déjà que cette édition sera suivie d’une seconde l’an prochain. Avec une plus
grande ouverture à l’international, davantage d’exposants et d’agences de communication. L’objectif
est vraiment d’ouvrir ce Salon à l’international.

« J’aime beaucoup les chansons
d’amour et j’adore danser »

Quelles sont vos autres passions ?
J’adore toutes sortes de musique, qu’elles soient africaines ou européennes, pourvu qu’elles aient du
rythme car c’est le rythme qui m’importe. J’aime beaucoup la musique africaine, la soul… Il faut
aussi qu’elles aient un véritable contenu. Car j’aime beaucoup les chansons d’amour. Mon chanteur
préféré, c’est le Malien Salif Keita car ses chansons sont pleines de signification et leur rythme
m’entraîne. J’ai le rythme dans la peau et j’adore danser !

Mon autre passion, c’est l’entrepreneuriat social, orienté notamment vers les enfants. Comment leur
faire découvrir le numérique et la robotique, mais de façon ludique par des jeux pédagogiques et
dans une ambiance festive.
J’aime bien enfin aider les femmes. Personnellement, tant que je peux aider une femme à parvenir à
un niveau élevé et à prendre conscience de son potentiel, cela me plaît. C’est pourquoi j’encourage
les femmes à postuler à des fonctions de responsabilités et le leadership féminin de façon globale. Il
faut qu’elles aient davantage confiance en elles pour réussir à s’imposer
Vous êtes aussi une sportive accomplie…
Je suis une ancienne volleyeuse, mais j’ai pratiqué aussi le hand-ball. En réalité, j’ai commencé
d’abord par l’athlétisme et je faisais du sprint sur 100 mètres, puis j’ai fais du hand et enfin du
volley. J’ai pratiqué pendant très longtemps au lycée et à l’Université, et même à haut niveau. Dès
que j’ai un peu de temps, je refais du sport. Je fais beaucoup de marche et je pratique encore le
volley avec un club d’anciens volleyeurs constitué des amis du lycée. On fait des matchs dans une
ambiance bon enfant. On ne se prend pas la tête et on oublie qui on est.
« Dans les difficultés, je garde
la tête haute car j’ai foi en Dieu »

Avez-vous un jardin secret qui vous tient à cœur ?
Je suis très tournée vers la religion. Je puise ma force dans la foi. Je me lève la nuit pour prier. Dans
les moments de réflexion ou quand je suis mal en point, la première chose que je fais : je prie. La
prière m’apporte une grande sérénité, me permet de reprendre confiance en moi et de me libérer. Il
m’arrive de pleurer en priant car cela me permet d’évacuer le trop plein, le stress, les soucis… Je
retrouve ainsi une force incroyable et les gens qui m’entourent ont alors l’impression que rien ne
m’atteint, que je suis une femme forte. Cela me donne comme un blindage qui me protège et me
donne de l’énergie. Pour moi, cette force provient vraiment de la religion. Même dans les difficultés,
je garde la tête haute car j’ai foi en Dieu.
Tout ce qui m’arrive et les épreuves que je traverse, je me dis que c’est la volonté de Dieu. Ma foi
me permet de surmonter toutes ces difficultés. C’est le proverbe bien connu : « Aide toi, le Ciel
t’aidera ! »

Avez vous déjà connu des moments difficiles ?
Quand j’ai échoué une première fois au bac, j’ai failli tout abandonner et ne jamais repasser
l’épreuve. Durant ma carrière, cela n’a pas été facile tous les jours. Ce fut un combat où il faut sans
cesse prouver peut-être pas que l’on est la meilleure, mais que l’on mérite la place, qu’on a les
compétences nécessaires et que l’on a la même valeur qu’un homme. Et cela n’a pas toujours été
évident, surtout dans ce secteur d’ingénierie et télécoms qui, à l’époque, était considéré comme
réservé aux hommes, un milieu très macho. Je me souviens que, lors de ma première année
d’Université en Guinée, sur 400 élèves de ma promotion présents dans l’amphi, il n’y avait pas 20
filles et, en licence, nous étions à peine 10 filles !

Comment pourriez-vous vous qualifier ?
Une guerrière ! Je suis une personne très déterminée et passionnée. Je suis véritablement une
guerrière ! Je ne baisse pas les bras facilement. J’adore les défis, je travaille beaucoup sous pression.
Pour moi, un leader c’est d’abord quelqu’un qui montre l’exemple. Ce n’est pas quelqu’un qui
s’assoie et donne des ordres. On ne peut prêcher quelque chose en quoi l’on ne croit pas et que l’on
n’est pas capable de faire.

« Ce combat quotidien des Mamans

africaines est pour moi le plus beau »

Un dernier message à l’adresse des femmes africaines ?
Il est important que les femmes continuent à se battre pour leurs droits et donnent l’exemple à leurs
filles et bien évidemment aussi à leurs fils. Qu’ils soient bien élevés pour que l’on comprenne
l’importance du respect de la femme dans la société. L’indépendance d’une femme épanouie
demande une certaine réussite au niveau familial car, quand une femme est épanouie, cela ne peut
être que bénéfique pour toute la société.
Il est important que nous puissions envoyer les petites filles à l’école pour leur assurer une bonne
éducation, puis que nous les encouragions à embrasser le métier qu’elles veulent sans leur mettre de
barrières (ni psychologiques, ni morales, ni techniques), que nous respections le choix de nos
enfants et que nous puissions les accompagner.

Quelles sont les femmes qui vous ont servi de modèles ?
Ma mère est pour moi un modèle, ma sœur aussi. Ma mère est une diplomate de carrière et cela n’a
pas été facile pour elle. Ma sœur est une femme brillante et a fait carrière à l’international. Juriste,
elle a travaillé dans des ONG et des organisations internationales comme le PAM (Programme
alimentaire mondial), après avoir été Directrice du Genre au sein de l’Union africaine. Je suis très
fière de son parcours même si elle a décidé aujourd’hui de prendre du recul pour s’occuper
davantage de ses enfants.

En dehors de ces modèles familiaux, quelles sont les femmes que vous donneriez en exemple ?
Je pense à Jeanne d’Arc bien sûr. Même si on ne parle souvent des femmes que lorsqu’elles sont
martyres et je trouve cela assez dommage. En Guinée, comme en Afrique, nous avons des femmes
qui se sont distingué comme Loffo Camara ou comme la chanteuse Miriam Makeba, une grande
activiste qui a vécu en Guinée pendant très longtemps. Je pense aussi à Michèle Obama qui a mis de
côté sa carrière pour soutenir son mari et devenir la « Première Dame » des États-Unis.
Même des femmes au foyer, parfaitement inconnues, peuvent nous inspirer par leur force de
caractère et leur détermination. De simples femmes nous inspirent par le combat qu’elles mènent
tous les jours pour élever leurs enfants et nourrir leur famille. Ce combat quotidien des Mamans
africaines est pour moi le plus grand et le plus beau..

Pour vous, qu’est-ce qu’une « diva » ?
C’est une femme qui a confiance en elle, une femme qui montre l’exemple par son talent, par son
savoir-faire, par son savoir-être. Une diva, c’est quelqu’un qui se démarque et, comme l’on dit, sait
faire la différence pour être la référence.

De notre envoyé spécial à Conakry (Guinée), Bruno Fanucchi

Aminata Kaba : « Je suis une guerrière ! »

 

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