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Entretien avec Bruno Fanucchi, grand reporter.

Alain Boinet pour Défis Humanitaires. Bonjour Bruno Fanucchi et merci d’avoir accepté cet interview pour Défis Humanitaires. Pour commencer, toi qui connais bien le Mali et l’Afrique, comment analyses-tu les motifs qui ont conduit au renversement du Président Ibrahim Boubacar Keita, lors du Coup d’État du 18 août de l’an dernier ?

Bruno Fanucchi. Il y avait depuis longtemps une exaspération populaire croissante au Mali car le président IBK était très coupé des réalités. Sa réélection en août 2018 a été plus que contestée, mais il a fait le nécessaire pour rester au pouvoir. C’est assez classique en Afrique : les dirigeants au pouvoir organisent en général des élections que s’ils sont sûrs de les gagner. Son principal défaut, qui a joué contre lui, s’appelle Karim Keita, son propre fils. Elu député et président de la Commission de la Défense à l’Assemblée nationale, il se laissait aller à des soirées très « jetsets », qui ont fait le tour de la planète et choqué le Mali. Karim a lui-même ruiné la carrière politique de son père. Il a d’ailleurs fui en Côte d’Ivoire au soir du coup d’État du 18 août 2020, où il a été recueilli par son grand ami Hamed Bakayoko, qui venait d’être promu Premier ministre à Abidjan. Le principal boulet d’IBK fut donc son fils.

A cela, s’est ajoutée une corruption généralisée que connaissait le Mali avant lui mais qu’il a laissé perdurer et s’aggraver, notamment dans la Justice et l’Administration. D’où un profond ressentiment populaire, qui a débouché sur le mouvement du M5 et d’importantes manifestations à Bamako à partir du 5 juin. Finalement, une poignée de jeunes colonels courageux se sont décidés à agir et ont “récupéré” le mouvement pour éviter que le Mali – devenu un Etat failli – ne sombre dans l’anarchie ou que les islamistes ne prennent le pouvoir.

Le colonel Assimi Goita s’adressant à la presse au ministère malien de la Défense à Bamako, Mali, après avoir confirmé sa position de président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP). © Malik Konate, AFP

Sans que l’on sache encore qui en a vraiment donné l’ordre, le pouvoir a alors fait tirer sur la foule le 10 juillet, faisant une douzaine de morts et plus de 150 blessés. C’est tout ce qu’il ne fallait pas faire. Les critiques se sont alors concentrées sur le Premier ministre Boubou Cissé accusé d’avoir « du sang sur les mains » et qui n’a jamais assumé ses responsabilités. Cela a mis le feu aux poudres et le pouvoir est tombé comme un fruit mûr lors du coup d’Etat du 18 août 2020.

DH. Les résultats des élections législatives qui ont précédé avaient été contestée. Cet événement a-t’-il joué un rôle dans le coup d’Etat ? 

C’est tout à fait exact : ce fut le déclic de cette colère populaire. Des résultats ont été contestés, mais le pouvoir a cherché à temporiser quelques semaines en se voilant la face et finalement ces résultats ont été proclamés : certains étaient annulés, d’autres confirmés. D’où une grande confusion. Le résultat ne s’est fait attendre : des dizaines de milliers de Maliens sont redescendus dans la rue. L’exaspération populaire était à son comble. D’autant plus que c’était la saison chaude et qu’il fait alors parfois entre 40° et 45°. Même à Bamako, il y a souvent des délestages, des coupures d’électricité, des coupures d’eau. D’où un ressentiment populaire exacerbé et bien compréhensible. Et quand la colère sociale monte, elle devient vite irrésistible et balaie tout sur son passage.

DH. Le 24 mai dernier, nouveau coup d’État. Le président de la République française, Emmanuel Macron, parle de “coup d’État dans le coup d’État”. Pour quelles raisons, alors que la transition est installée, le colonel Assimi Goïta, qui avait dirigé le premier coup d’État, a décidé de renverser le Président et la Premier ministre mis en place.  Comment comprendre cela?

Attention au poids des mots qui ont leur importance. Pour moi, ce n’est pas un coup d’État. On peut parler de « coup de force » certes, mais un coup d’État qui, en Afrique, ne fait pas un mort, où il n’y a pas un coup de feu, et où tout le pays reprend le travail dès le lendemain à l’issue de deux semaines de grève générale, je dis: chapeau ! Hormis la classe politique, la grande majorité des Maliens l’a vécu ainsi.

Que ça soit un « coup de force », que les Occidentaux et les instances internationales ou régionales comme le CEDEAO soient obligés de condamner de manière diplomatique pour la forme, c’est compréhensible. Mais qu’on parle de “coup d’État dans le coup d’État”, comme l’a aussitôt qualifié le Président Emmanuel Macron, ce n’est qu’une formule et elle fut bien maladroite… J’étais à ce moment-là à Bamako et, mis à part le seul soir du 24 mai, où tout le monde s’interrogeait et par prudence est plutôt resté chez soi, il ne s’est strictement rien passé : ni mouvement de troupes ni de chars dans les rues. Ce fut plus une “révolution de Palais”.

Je m’explique. Il se trouve que le président Bah N’Daw, lui-même ancien militaire, un personnage tout à fait respectable et intègre qu’on avait rappelé pour mettre un « civil » à la tête de la Transition, n’a malheureusement pas pu faire grand chose pendant les neuf premiers mois de la Transition.

A la suite de la démission du Premier ministre Moctar Ouane, il l’a aussitôt reconduit et chargé de former un nouveau gouvernement rendu public le 24 mai. Un nouveau gouvernement qui ressemblait comme deux gouttes d’eau au précédent, mais dont deux colonels ayant participé au premier coup d’Etat du 18 août 2020 avaient été exclus (Le colonel Sadio Camara, ministre de la Défense et le colonel Modibo Koné, ministre de la Sécurité) sans que ne soit consulté le colonel Assimi Goïta, Vice-président de la Transition en charge pourtant de ces deux secteurs stratégiques :  Défense et Sécurité.

Véritable patron des « putschistes » d’août 2020, le colonel Goïta – qui à 37 ans a déjà un brillant parcours militaire et de réels états de service –  a jugé utile de demander aussitôt des comptes au Président et au Premier ministre et de bouleverser un peu l’ordre des choses.  Pour maintenir l’unité et la cohésion de l’armée.

DH. A l’issue du Coup d’Etat du 18 août 2020, un ambitieux programme a été élaboré en lien avec la CEDAO : réforme institutionnelle, redécoupage électoral, lutte contre la corruption et l’impunité et des élections présidentielles et législatives, tout cela sur une période de 18 mois. Il ne reste maintenant que 9 mois, ce programme est-il réaliste ? 

BF. Nous sommes déjà à mi-parcours de la Transition et, pour parler franchement, disons qu’en neuf mois, celle-ci n’a pas fait grand-chose, les Maliens n’ont pas vu de changement. Cette Transition a été menée par des gens tout à fait respectables, mais qui ne se sont pas révélés être

Des soldats français de l’opération « Barkhane » quittent leur base de Gao, au Mali, le 9 juin 2021. AP

à la hauteur. Il y a des pesanteurs énormes au Mali, dans l’administration, dans la justice, dans toutes les corps de l’Etat et pas grand-chose n’a bougé en 9 mois.

Pris sous la pression internationale  poussant à remettre le pouvoir à des autorités civiles au bout de 18 mois, le programme chargé de réformes n’était pas tenable. C’est très bien sur le papier, mais on ne peut pas réformer la Constitution et faire toutes ses réformes en si peu de temps.

Pour ne pas se mettre une nouvelle fois à dos la communauté internationale, le nouveau président de la Transition investi le 7 juin a lui aussi déclaré que l’échéance électorale du 27 février 2022 serait tenue. On peut cependant en douter… Soyons réalistes.

Dans son discours d’investiture, le colonel Goïta a en revanche annoncé que « les deux tiers des fonds de souveraineté de la présidence seront supprimés », soit 1,8 milliards de francs CFA par an, qui « serviront désormais à la fourniture de l’eau et à la création de centres de santé pour les populations les plus démunies sur toute l’étendue du territoire national ». Une annonce concrète qui sera, je pense, suivie d’effets, alors que rien n’avait vraiment changé dans le train de vie de l’Etat ces 9 derniers mois. Or l’exemple vient de haut.

DH. Un ancien ministre malien déclare que le plus grand problème du Mali, c’est l’Etat centralisé. Il préconise un Etat unitaire décentralisé incluant toutes les composantes de la société maliennes et même les autorités coutumières et religieuses. La décentralisation fait-elle partie de la solution ? 

BF. Sur le fond, il a parfaitement raison. La décentralisation est un dossier important, mais c’est un long processus. Je connais bien l’ancien Premier ministre Moussa Mara, qui est un grand partisan de la décentralisation. Déjà en campagne électorale, il parcourt actuellement tout le Mali en prêchant la sécurité, la décentralisation, la lutte contre la corruption, mais une décentralisation réussie et une Constitution révisée ne se font pas en 9 mois, il faut être réaliste. Il faudrait peut-être dire aux Occidentaux d’arrêter de mettre la pression sur les Maliens, qui doivent rester maîtres de leur propre pays. Qu’il y a peut-être d’autres priorités  avant même la décentralisation, qui s’appellent par exemple la sécurité.

Les Occidentaux doivent changer de logiciel et de lunettes et arrêter de dire aux Maliens : “faites des élections le 27 février 2022” !

Dans un pays où les enfants ne vont plus à l’école parfois depuis plus de 7 ans, la priorité me semblerait d’abord de rouvrir les écoles, de redéployer l’administration d’État dans l’ensemble du pays, et d’assurer avant tout la sécurité des gens dans un pays en guerre où des villages meurent chaque jour. La sécurité n’est-elle pas la première des libertés ? Les élections c’est bien, mais ce n’est pas forcément l’urgence du Mali.

Qu’on en juge par ce qui se passe dans le nord du pays.

Mon amie Coumba Traoré (par ailleurs Secrétaire générale du Forum de Bamako) vient de passer trois semaines en juin dans le nord du Mali, dans des villages qui n’ont pas vu une autorité venant de Bamako depuis 2012 ! Elle a réuni sous l’arbre à palabres, dans 21 villages, les femmes du Nord pour être à l’écoute de leurs doléances et réaliser un documentaire leur donnant la parole.

Qu’attendent-elles ? Les services publics élémentaires de base que tout État digne de ce nom se doit d’assurer à ses populations les plus démunies : l’accès à l’eau et à l’électricité pour leur permettre de vivre dans la dignité, de rester et travailler sur place et de nourrir leur famille. Et éviter ainsi que leurs propres enfants ne s’enrôlent dans les mouvements djihadistes qui, eux, ne manquent pas d’argent, pour survivre.

Des sommes colossales ont été allouées aux programmes de l’Alliance Sahel mais rien, strictement rien, n’est arrivé jusqu’à ces villages du Nord. Voilà la cruelle réalité : sous le soleil torride du désert, l’aide internationale s’évapore…

DH. Par le passé, les médias ont fait état de manifestations anti-française à Bamako. Qu’en est-il et y a-t’-il des ressentiments dans la population contre la politique française au Mali ? 

Les manifestations anti-françaises existent, mais ne sont pas très importantes. Au Mali, elle sont surtout instrumentalisées par quelques puissances étrangères, comme la Russie. On connaît l’efficacité des mercenaires russes du groupe Wagner très présents en Centrafrique, et à la manœuvre sur le terrain pour manipuler habilement les foules toujours contre la France : on paie quelques personnes pour tenir des banderoles et des pancartes au premier rang proclamant « Mort à la France » et on agite des drapeaux russes en toile de fond, c’est un jeu d’enfant. Avec les réseaux sociaux, cela va très vite et fait malheureusement beaucoup de mal. La France n’a pas pris la mesure de cette guerre psychologique et médiatique et n’a pris aucune décision efficace pour se défendre et organiser la riposte sur les réseaux sociaux.

Les manifestations anti-françaises ont donc été en grande partie instrumentalisées, et orchestrées puis, faute de riposte, elles se sont amplifiées… Aujourd’hui, c’est le président Macron lui-même qui alimente le ressentiment anti-français de la jeunesse africaine, par son tweet condamnant sans appel le soir même le pseudo coup d’État.

J’ai vu ainsi les Maliens, toutes tendances politiques confondues, vent debout contre la France et Macron. Les Maliens n’ont pas compris cette politique de « deux poids, deux mesures » du président français se rendant, en avril à N’Djamena, aux obsèques du Président Idriss Déby et adoubant au Tchad du jour au lendemain le fils du président, qui n’a jamais été élu, mais dénonçant le mois suivant au Mali un « coup d’Etat » qui fait ni mort ni un coup de feu. C’est incompréhensible !

J’ajouterai que Macron n’a pas de leçon de démocratie à donner à l’Afrique car il a perdu toute crédibilité après avoir avalisé un troisième mandat anticonstitutionnel d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et d’Alpha Condé en Guinée Conakry, malgré des centaines de morts et d’arrestations dans ces deux pays en crise.

DH. Le Président Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse le 10 juin, a notamment annoncé un nouveau cadre pour l’opération Barkhane. Il a précisé que la France ne pouvait pas se substituer aux services de l’Etat et aux choix souverain des Etats. Dans un contexte de dégradation de la sécurité au Mali et dans les pays limitrophes, comment cette déclaration est-elle perçue ?

Cela s’est fait en deux temps. Dès le 3 juin, la France a annoncé qu’elle gelait toute coopération militaire avec les FAMA. C’était un très mauvais signal : comment expliquer aux Maliens que l’armée française reste au Mali mais ne fait plus rien avec l’armée nationale malienne ? L’armée française n’est pas chez elle et ne saurait se conduire comme dans un pays conquis…

Une manifestation réclamant le départ du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, le 5 juin 2020 à Bamako. © Baba Ahmed/AP/SIPA

Ce fut une première faute de goût. Même si c’était pour faire pression sur lui, ce premier coup de semonce est tombé à plat : le colonel Assimi Goïta est resté droit dans ses bottes et n’a pas changé sa ligne politique pour autant, heureux et fier d’avoir obtenu que la CEDEAO ne prenne pas de sanctions économiques à l’encontre du Mali, comme elle l’avait fait en 2020. Les sanctions économiques, on le sait, ce sont toujours les peuples qui en fait les frais et non leurs dirigeants.

Le 10 juin, le président Macron a fait cette annonce que certains journalistes ont présenté comme « la mort de Barkhane ». Soyons exact et précis : la transformation de Barkhane, dont j’ai salué à Bamako le patron, le général Marc Conruyt, va s’échelonner jusqu’en 2023, avec une baisse des effectifs et non un retrait complet des troupes, comme Macron l’avait laissé entendre maladroitement.

Ce chantage a été très mal vécu au Mali et dans les armées françaises. Car les soldats français ont fait un excellent boulot au Mali depuis 2013 avec Serval, puis Barkhane. Mais toute opération qui dure dans le temps menace de s’enliser, surtout si on n’y met pas tous les moyens et la volonté politique. La transformation de Barkhane, tout le monde l’appelait de ses vœux, mais la faire « à chaud » en la reliant aux soubresauts institutionnels de Bamako, ce fut là encore une grave erreur politique.

Macron a mélangé et superposé deux agendas : cela peut être effectivement populaire de faire croire aux Français qu’on se retire du Mali à la veille des élections présidentielles d’avril prochain, mais cela nuit à notre crédibilité en Afrique. Pour deux bonnes raisons : réduire la voilure de Barkhane et lui donner une nouvelle mission prendra du temps et ne peut se faire du jour au lendemain si l’on ne veut pas voir le Mali s’effondrer d’un seul coup. Cette annonce du chef des armées n’est de surcroît guère élégante et respectueuse à l’égard de tous nos soldats et officiers tombés au Mali, et dont les familles peuvent légitimement avoir le sentiment qu’ils sont morts pour rien !

DH. La Pandémie du Covid-19 dégrade la situation économique et sociale partout et en Afrique. Le FMI estime qu’il faudrait injecter 300 milliards de dollars en soutien aux économies africaines et la France a pris des initiatives fortes dans cette voie. Mais, en attendant, comment vivent les maliens au jour le jour ?

BF. La priorité pour le Mali, je crois que c’est la sécurité. Mais il y a un front social évident. Après deux semaines de grève générale touchant essentiellement les fonctionnaires et mettant le Mali à l’arrêt, l’Union Nationale des Travailleurs Maliens (UNTM) a pris une décision de bon sens au lendemain du 24 mai. Le 25 mai était férié au Mali, mais dès le 26 mai tout le monde a repris le travail et la vie a repris normalement, il n’y avait plus de grève. C’est même extraordinaire. Ça ne veut pas dire que les problèmes de fond sont résolu: les bas salaires, le chômage, la corruption… Tout ça existe malheureusement au Mali et a été encore aggravé par la pandémie, car ce qui fait vivre les gens dans de nombreux pays africains comme le Mali, c’est l’économie informelle. Or, quand on ne peut plus sortir et travailler, qu’il y a le couvre-feu, c’est compliqué. Les gens qui vivent avec 1000 ou 2000 CFA par jour, s’ils n’ont plus aucune activité, ils n’ont plus rien car il n’y a ni assurance sociale ni indemnités chômage. Un emploi au Mali fait vivre au moins 10 personnes. Quand vous perdez votre emploi, c’est toute une famille qui n’a plus rien pour vivre. C’est la dure réalité à laquelle les Maliens doivent faire face.

DH. Tu étais à Bamako lors de cette « révolution de Palais » le 24 mai pour participer au Forum de Bamako que l’on surnomme le petit « Davos » africain. En quoi consiste ce Forum et quel est son intérêt ?

BF. Le Forum de Bamako, c’est un think tank original qui existe depuis plus de 20 ans. Il a été fondé par Abdoullah Coulibaly, qui avait créé juste avant l’Institut des Hautes Études en Management (IHEM) et a toujours refusé d’être ministre. C’est vraiment l’homme qui m’a fait aimer le Mali, car il a à cœur la stabilité, la sécurité, la paix et le développement du pays. Le thème était cette année parfaitement d’actualité : “Le capital humain: les priorités pour réussir la transition au Mali”.

A ce forum, devaient venir, outre le Premier ministre Moctar Ouane, une dizaine de membres de son gouvernement, qui avaient tous accepté d’être là. Il se trouve que le gouvernement a démissionné la veille de l’ouverture du Forum. Aucun ministre n’est donc finalement venu. Seul le Premier ministre, reconduit dans ses fonctions, a relevé le défi et est venu prononcer le discours de clôture le samedi, deux jours avant cette date fatidique du 24 mai où il a été contraint de quitter le pouvoir.

DH. Quel peut-être la valeur ajoutée de ce Forum de Bamako ?

BF. Ce Forum est avant tout une « grande famille », mais ne réunit pas que des Maliens. Il réunit aussi des Africains, des Européens et même des Américains… On y rencontre des personnalités de premier rang comme mon ami Cheikh Tidiane Gadio, Vice-président de l’Assemblé nationale du Sénégal après avoir dirigé la diplomatie sénégalaise pendant 9 ans de suite sous la présidence d’Abdoulaye Wade. C’est un panafricaniste convaincu qui a créé et préside l’Institut Panafricain de Stratégie (IPS) à Dakar. Ou comme le Professeur Alioune Sall, président de l’Institut des futurs africains, qui est un sociologue de renom et de talent, qui fait la synthèse des travaux du Forum. Ces propositions et recommandations sont traditionnellement remises en main propre au président malien lors d’une réception au Palais de Koulouba à l’issue du Forum.

Comme on y rencontre des ministres, des décideurs, des intellectuels, des économistes, des jeunes pousses, ce Forum a une aura et une grande influence sur l’ensemble du Continent. Cette année, de jeunes Africains talentueux y ont été primés dans des secteurs comme la technologie, l’innovation ou le leadership féminin… L’Afrique regorge en effet de talents, mais faut-il encore les connaître et les faire connaître.

DH. N’y a-t ’-il pas une contradiction entre l’action militaire quotidienne contre les groupes qualifiés de djihadistes et terroristes et l’intention de la Transition de négocier avec certains de ces groupes. Quel est l’avenir à court terme ?

BF. L’avenir du Mali n’est pas rose, parce que le problème sécuritaire est loin d’être réglé. Mais ne nous payons pas de mots non plus : on ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis !

Il faudra bien discuter avec ses ennemis, même les pires, qu’ils soient qualifiés de djihadistes, terroristes… Ce préalable lancé par Macron aux Maliens leur intimant l’ordre de « ne négocier avec personne tant que les soldats français seront là » ne tient pas la route un seul instant. Car ces discussions ont en réalité déjà commencé sous IBK, Et il y a eu des libérations d’otages, comme celle l’ancien Premier ministre et leader de l’opposition Soumaïla Cissé et de l’otage française Sophie Pétronin, obtenues à l’évidence contre monnaie sonnante et trébuchante lors de négociations avec les ravisseurs, même si toute « rançon » a toujours été officiellement démentie par les autorités tant à Paris qu’à Bamako.

Mais le plus grave, c’est la libération de près 200. « Terroristes » en échange. Les soldats français de Barkhane, qui continuent de faire le job au Mali, ont ainsi « neutralisé » en juin un certain Abou Dardar, qui faisait partie des djihadistes libérés en octobre dernier. Là est le scandale. La France a fermé les yeux sur tout ça. Bien sûr qu’il faudra un jour parler avec des gens qui ne sont ni sympathiques ni recommandables. Comment faire autrement ?

On l’a vu aussi en Afghanistan avec les Talibans, en Somalie avec les Shebabs et au Mali avec ceux que l’on qualifie de « djihadistes », si vous en tuez un, dix autres se lèvent pour venger leur frère. Si l’on n’appréhende pas cette logique, on ne comprend rien et cette guerre contre le « terrorisme » sera sans fin.

DH. Comment veux-tu conclure et que penses-tu de l’action humanitaire au Mali, de sa raison d’être dans un contexte si dégradé ?

BF. Sur le plan politique, laissons d’abord les Maliens se réconcilier et décider entre eux de la meilleure solution. Si les élections présidentielles et législatives ne se déroulent pas le 27 février prochain, ce n’est pas la fin du monde. Évidemment, pendant ce temps-là, il y a des massacres ou des tueries tous les jours depuis 8 ans et des règlements de comptes dans les villages maliens entre trafiquants ou groupes de différentes ethnies. Il y a donc une autoroute et du travail jour et nuit pour l’action humanitaire qui a besoin de gens dévoués et bénévoles, comme tu en as fait partie avec « Solidarités International ». Tous ces volontaires font un travail utile et efficace, mais il faut que celui-ci soit reconnu et respecté, qu’on ne mette pas leur vie en danger avec des fanfaronnades ou des oukases qui exacerbent sur le terrain le ressentiment anti-français. Et mettent en danger la vie des Maliens qui prennent le risque de travailler avec les Français pour une belle cause car la vie ne vaut rien dans ces pays.

Chapeau bas à ceux qui continuent de s’engager dans l’action humanitaire : il y a tellement à faire, même si leur action ne sera jamais qu’une goutte d’eau dans cet océan de sable et de besoins.

Le Mali sans tabou

 

Qui est Bruno Fanucchi ?

Longtemps Grand reporter au « Parisien », Bruno Fanucchi parcourt depuis plus de trente ans l’Afrique et le Moyen-Orient d’Abidjan au Beyrouth, de Bamako au Cap, de Dakar à Jérusalem, Lomé ou Libreville. Spécialiste de géopolitique, il a interviewé de nombreux chefs d’État ou chefs rebelles et couvert aussi bien des élections que des sommets internationaux ou coups d’État. A Paris, il a présidé la Presse diplomatique puis l’Association des Journalistes de Défense, pour laquelle il a organisé plusieurs missions en Afrique. Allant à la rencontre des acteurs politiques ou décideurs engagés du Continent, c’est avant tout un homme de terrain : il travaille aujourd’hui pour le site économique AfricaPresse.Paris et plusieurs magazines grand public comme « Divas ».

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