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Président Bazoum balayé par l’armée: le décryptage de Oumar Kateb Yacine de l’Institut Afrique Émergente

Après le coup d’État militaire qui a renversé Mohamed Bazoum, président nigérien démocratiquement élu, nous avons rencontré Oumar Kateb Yacine du think tank, Institut Afrique Émergente, pour décrypter cette actualité brûlante.
                                                                                                                                                                                Mediaguinee: On a enregistré cette semaine un coup d’État militaire au Niger où l’armée vient de déposer Mohamed Bazoum, démocratiquement élu il y a seulement deux ans. Votre réaction ?
Oumar Kateb Yacine: C’est dommage pour nos jeunes démocraties. Encore un fait illustrant malheureusement la terrible faillite de nos élites. L’Afrique renoue avec les putschs. Depuis 2020, c’est le 6ème putsch réussi rien que dans l’ex-Afrique Occidentale Française.
                                                                                                                                                                                              Vous avez dit six ?

Le Mali et le Burkina Faso ont connu chacun  deux coups d’Etat militaires; la Guinée, un et voilà le Niger qui renoue avec les pouvoirs militaires après une parenthèse de 12 ans du régime issu des urnes.

Ce pays est à son 5ème coup d’Etat réussi en 63 ans d’indépendance: Seyni Kountché en 1974, Ibrahim Baré Mainassara en 1996, Daouda Malam Wanké en 1999, Salou Djibo en 2010 et celui du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) de cette semaine. C’est trop pour un pays !
                                                                                                                                                                                                 Est-ce une surprise donc, ce coup de force à Niamey ?

D’un côté, on peut le dire ainsi lorsqu’on prend en considération l’alternance réussie par le prédécesseur du Président Bazoum, Mahamadou Issoufou qui lui a passé le relais après avoir exercé ses deux mandats à la tête du pays. A y ajouter, la bonne collaboration entre l’armée du pays et les forces occidentales (la France et les Etats-Unis) dans la lutte contre le terrorisme au niveau de la région du Sahel. Bazoum était considéré comme un bon disciple par l’Occident et ses alliés dans le continent.

Par contre, si on examine au fond les circonstances de l’élection de Mohamed Bazoum en 2021, la structure de fonctionnement de son régime  et le contexte géopolitique dans la région, on peut ne pas être surpris.
                                                                                                                                                                                Expliquez-nous…

D’abord, si l’on examine bien la manière dont Monsieur Bazoum a été élu, il y a l’anguille sous roche. C’est le président Issoufou, son mentor, qui l’a imposé comme candidat de son parti, PNDS (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme), et lui a apporté son soutien. Ce qui n’était pas du goût de tous ses partisans et aussi d’une frange importante de l’opinion. Certains l’avaient traité d’étranger. Déjà, une tentative de coup d’Etat contre Mahamadou Issoufou a été déjouée à la veille de la prestation de serment du président Bazoum. Et, on se rappelle les manœuvres politiciennes utilisées à l’époque pour écarter l’influent Hama Amadou du processus électoral.
Ensuite, sa gouvernance politique et économique n’a pas été exempte des critiques à cause de la corruption et de la restriction des libertés publiques dont il a fait preuve. Enfin, c’est un constat avéré: la sous-région devient un épicentre des luttes inter-puissances. La Russie est en train de s’implanter dans tous ces pays, faisant partie du pré carré de la France.

Par ailleurs, il est à noter que l’armée en Afrique est toujours restée boulimique du pouvoir et de la richesse. Les régimes militaires, à des rares exceptions, (Jerry Rawlings au Ghana et Thomas Sankara au Burkina Faso) excellent dans la malgouvernance et la dictature. C’est ainsi les faits depuis le premier coup d’Etat en Afrique, celui de Gnassingbé Eyadema en 1964. Et ce n’est pas ces nouveaux chefs de junte se disant « révolutionnaires » qui vont nous sortir de l’ornière. Parfois, ils sont plus corrompus que les despotes qu’ils ont évincés. 
                                                                                                                                                                                          Est-ce que les putschistes nigériens ont eu un soutien extérieur de la part de Moscou par exemple ?
C’est tôt de l’affirmer ainsi. D’abord, on attend de voir leurs profils et surtout quelle direction vont-ils prendre dans la lutte contre les jihadistes. On a vu à Niamey des manifestants favorables aux putschistes qui brandissent le drapeau russe. Au même moment, à Saint-Pétersbourg où se déroule le 2ème sommet Russie-Afrique, Vladimir Poutine déclarait que son pays va fournir gratuitement 25000 à 50.000 tonnes des céréales à six pays africains dont le Niger. Même si Moscou demande la libération du président déchu, toujours retenu à sa résidence présidentielle, cela ne veut pas dire que le Kremlin, d’ailleurs peu regardant sur le respect des vertus démocratiques, ne va pas coopérer avec le nouveau pouvoir militaire de Niamey.
                                                                                                                                                                                     Comment voyez-vous l’avenir des forces américaines et françaises basées au Niger ?

C’est une situation délicate pour les Occidentaux. Les États-Unis et la France disposent d’importantes bases militaires au Niger. La base de surveillance équipées de drones que disposent les Américains joue un rôle très important en matière de surveillance dans l’espace Sahel voire le Sahara. Tandis que la France, après avoir mis fin à Barkhane au Mali a redéployé ses contingents au Niger.  En plus, sans l’uranium nigérien, la France sera fortement privée de ressources vitales pour maintenir sa puissance nucléaire.
Pour continuer la lutte contre le terrorisme au Sahel, Français et Américains ont besoin d’un point stratégique. Le Niger jouait un rôle d’allié idéal. Non seulement, ils (Français et Américains) sont obligés de rester dans la région, vu la montée en puissance des jihadistes menaçant la sécurité de cette partie du monde, mais aussi à cause de l’importance des enjeux dans la région. Je les vois mal laisser le champ libre à « leurs adversaires » russes et chinois.
De son côté, la Russie ne cache plus son intention de supplanter l’Occident en Afrique. Elle a les armes sophistiquées. Elle compte intensifier son marché d’armes avec l’Afrique, -selon les dernières statistiques les 50% des armes du continent proviennent de la Russie. Actuellement, le maillon faible des armées des pays du Sahel, c’est le manque de migs. Et, il est très facile d’en trouver en Russie tandis que les Occidentaux rechignent de livrer ce type d’armement à nos pays. Aussi, il y a le Wagner déjà présent au Mali qui peut bien se retrouver de l’autre côté au Niger si les nouvelles autorités en font la demande.
Mais le coup de force a été vivement condamné par la communauté internationale et la CEDEAO engage une médiation pour le retour du président Bazoum au pouvoir.
Pour les multiples condamnations, c’est un rituel au niveau international. Mais la réalité en est autre chose. Déjà l’armée s’est ralliée au CNSP qui a déposé le président. Dans les rues de Niamey, on a assisté à des manifestations de soutien aux militaires. Tandis que le siège du PNDS, l’ex-parti au pouvoir- a été vandalisé, certains de ses militants violentés. Le président et son ministre de l’Intérieur sont  toujours en détention.

Que peut faire la CEDEAO? A mon humble avis, pas grand chose. Son émissaire, Patrick Talon, n’a pas effectué le déplacement. En lieu et place, le président en exercice de l’Organisation, Bola Tinubu, a convoqué ce dimanche un sommet extraordinaire à Abuja. Son annonce de créer une force ouest africaine contre les coups d’État, a peu de chance de se concrétiser.
                                                                                                                                                                                            Un mot de la fin

Ces coups d’État à répétition résultent de la faillite de nos élites. Aucun régime n’est à l’abri d’un putsch pour des raisons que nous avons évoquées plus haut. En tout cas, partout où l’on gouverne par la corruption, le vol des biens publics, le népotisme et l’injustice, il faut s’attendre à une prise du pouvoir par les armes. Il nous faut des institutions fortes, composées de personnes intègres et compétentes. Nous devons rompre avec la médiocrité en mettant en avant la méritocratie.

Par Mediaguinee

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